Le fourgon roulait lentement sur la route accidentée conduisant à l'asile d'Arkham, établissement dont la réputation était presque aussi sinistre que son architecture gothique. Les phares perçaient la nuit pour éclairer chaque virage jusqu'à la fameuse grille de fonte noire.
-Moi, tout c'que j'dis, Docteur, c'est qu'je vois pas pourquoi vous persistez à envoyer vos patients ici. répétait le chauffeur. J'veux dire, j'fais ce boulot depuis des années, j'suis bien placé pour l'savoir: Arkham c'est une telle passoire qu'on pourrait égoutter des pâtes avec. Vz'avez une idée du nombre de fois où le Joker s'est évadé ? Ou Double-Face ? Ou même Zsasz, tiens ! Juré, y a à peine trois s'maines, ce taré s'était accroché sous mon camion. J'ai jamais eu aussi peur de ma vie qu'quand j'l'ai vu sortir et m'mettre le couteau sous la gorge. Y m'a dit qu'il avait d'jà choisi où il se f'rait une cicatrice pour moi, c'gros malade. Heureus'ment, et j'ai pas honte de l'dire, heureus'ment que Robin a débarqué à ce moment là pour lui mettre une race.
L'homme en blouse blanche qui l'accompagnait regardait par la fenêtre d'un air détaché, visiblement peu intéressé par ce que son compagnon de route racontait. C'était un homme entre deux âges, d'une taille et d'une corpulence peu communes pour un psychiatre. Adipeux, un peu dégarni, chaussé de vieilles lunettes et doté d'un impressionnant poireau sur la lèvre supérieure, sa perpétuelle moue bougonne aidait ses interlocuteurs à ne pas se sentir coupable de le trouver d’emblée antipathique.
-Je sais déjà tout ça. marmonna-t-il d'un ton ennuyé, mais le chauffeur ne sembla pas remarquer sa réponse.
-Et ça fait, quoi...? Cinq ? Six fois, qu'vous envoyez un d'vos patients à Arkham ? Les premières fois, j'me disais "Bon sang, qu'est-ce qu'un gosse a à foutre parmi tous ces tarés ? Y en a qui s'raient prêt à les bouffer. J'veux dire, pour de vrai !" Et au final, bah, pour autant qu'je sache y en a aucun qui est resté sur place. Tous ys se sont évadés, pas vrai ? Même la jolie rouquine, là... À moins qu'ils se soient VRAIMENT faits bouffer, j'veux dire, mais chaque fois on a trouvé des indices comme quoi ys s'étaient échappés. Mais les gamins, aucun on en a r'trouvé.
Le docteur lâcha un soupir agacé, les yeux fixés sur la route comme s'il cherchait ainsi à fuir la conversation. Ses bras croisés, sa mine renfrognée, son attitude distante, rien dans son langage corporel n'invitait au dialogue, mais son chauffeur insistait.
-Et vot' petit nouveau, là, il est pas comme vos clients habituels, 'fin, patients. Jusque là, c'étaient tous des gamins, j'étais persuadé qu'vous bossiez dans un genre de maison de correction, slash, asile, mais lui y m'a l'air un peu plus vieux. Ou alors vous le transférez parce qu'il est dev'nu majeur ?
Son passager laissa presque échapper une exclamation de soulagement lorsque le portail de l'établissement apparut devant eux. Il descendit et alla au poste de garde pour signer des papiers, tandis que des employés ouvraient l'arrière du fourgon pour en extraire un jeune homme au regard vide et hagard. Il avait les bras pris dans une camisole de force et portait même une muselière, marchant comme un zombi lorsqu'on le tirait.
-On lui a administré une dose de cheval, annonça le docteur, mais vous feriez quand même mieux de le mettre en cellule capitonnée. Chaque fois qu'il se réveille dans un nouvel environnement, il se jette sur les murs pour se taper la tête.
Les gardiens hochèrent la tête en silence, mais Aaron Cash apostropha le psychiatre.
-Vous avez une dernière chose à lui dire, avant qu'on l'emmène ?
L'homme sembla réfléchir, puis alla se placer devant le patient. À travers les brumes de la drogue, ce dernier parvint à distinguer les contours d'un visage et reconnaître un ton qu'il commençait à connaître.
-Bonne chance, Jack. J'espère te retrouver rapidement hors d'ici parfaitement maître de tes moyens.